[Critique] DOWNRANGE de Ryuhei Kitamura


Cinéaste de l’excès gore du début des années 2000 avec son Versus, L’Ultime guerrier encore dans toutes les mémoires, Ryuhei Kitamura s’est progressivement perdu en route, jusqu’à œuvrer de manière très irrégulière qualitativement parlant, ces dernières années (Godzilla : Final Wars, 2004 ; Love Death, 2006 ou encore Midnight Meat Train, 2008). Le voici revenu aux commandes d’un projet aux allures modestes, Downrange, thriller américain qui renoue avec les ficelles de son cinéma « artisanal » de série B décomplexée.
Downrange, c’est avant toute chose un pitch hyper basique. Une bande de jeunes dans une voiture sur une route isolée, un pneu crevé par un tir de fusil, et les voilà proies d’un sniper embusqué qui traque leurs moindres faits et gestes. Simple ne veut pas dire mauvais. Pourtant, on craint le pire dès l’entame. Les personnages sont des stéréotypes (dés)incarnés (dont une spécialiste de la survie et des armes à feu), qui ne trouvent évidemment pas d’autre réflexe que de sortir leurs téléphones afin d’immortaliser leur mésaventure et de la partager sur les réseaux sociaux. Lourd. Les dialogues sonnent peu naturels et l’ensemble est assez peu convaincant en termes d’écriture et de jeu… Heureusement, l’installation est vite envoyée, alors que les premières victimes tombent sous les balles du tireur.

Travelling hystérique
Première satisfaction, Ryuhei Kitamura imprime sur cette pure série B sa patte stylistique. Ou son style un peu pompier, suivant les points de vue. Le cinéaste japonais use de cadrages et de mouvements d’appareils typiques de son cinéma maniéré et rythmé : travelling circulaire hystérique, caméra qui tourne sur son axe pour simuler une roue en vue subjective, ou qui ressort d’un corps par un trou de balle (!), une fantaisie héritée du Massacre à la tronçonneuse de Marcus Nispel. Visuellement, Downrange a du cachet, multipliant les emprunts à De Palma en jouant sur la fausse profondeur de champ. Le film se hisse sans peine au-dessus du tout venant dans le genre. D’autant que Kitamura prend un malin plaisir à jouer avec le temps, à le dilater, le suspendre, dans les moments les plus violents et gores, étirant certaines scènes de manière inhabituelle, comme la découverte des premières victimes, et ses longs focus sur les parties du corps ensanglantées, ce qui a pour effet de rendre un peu plus réalistes les réactions désarçonnées des témoins horrifiés, loin de l’hystérie habituelle au cours de ces scènes souvent envoyées en deux temps trois mouvements.

Huis-clos à ciel ouvert
S’installe dès lors un survival en pleine nature, mâtiné de huis-clos à ciel ouvert. Un lieu (quasi-)unique, une voiture et une souche d’arbre servant de protection, un tireur embusqué invisible et notre bande de naufragés de la route qui doit se faire violence et canaliser leur panique pour s’en sortir. Kitamura exploite assez adroitement toutes les ficelles de son concept, s’amuse à jouer avec les distances et l’espace, avec une utilisation ingénieuse de l’horizontalité du cadre. Pour les proies, tous les stratagèmes sont bons pour tenter de débusquer le chasseur caché : vidéo à l’aide d’un téléphone, perche à selfie pour éviter de se faire shooter, la providentielle caisse à outils qui traîne dans la voiture. Un vrai survival… avec les moyens du bord. Le film tient dans son concept, et ne cherche rien d’autre que l’exploitation de ce-dernier dans un exercice de style assez bien ficelé au demeurant. Qui dit Kitamura, dit effets spéciaux gores à foison, plutôt réussis pour tout ce qui est physique, mais les effets numériques sont moins à la fête (oh ! les vilains corbeaux en CGI…) Le film devient progressivement de plus en plus sanglant et méchant, et se pare même d’une touche quasi fantastique sur la fin, Kitamura filmant son sniper comme une monstruosité silencieuse, un boogeyman en puissance, et ses proies avec un réel plaisir masochiste.
Avec son intrigue simplette, ses personnages caricaturaux, Downrange reste pourtant du cinéma qui redonne du sens au mot « fun ». De la bonne série B, sauvage, méchante et sans concession, nihiliste jusqu’à son terme, la tension est bien réelle, et n’enregistre presque pas de baisse de rythme. Le film s’achève en adressant un pied de nez fort à propos sur l’usage des armes à feu et l’autodéfense aux Etats-Unis, avec une pointe de masochisme.
Downrange ne révolutionne rien, mais est emballé avec décontraction et application. De toute évidence, des films comme lui, on en a déjà vu des tas, mais surtout des moins bons…
DOWNRANGE
Ryuhei Kitamura (USA – 2018)

Genre Thriller/Survival – Interprétation Kelly Connaire, Stephanie Pearson, Rod Hernandez-Farella, Anthony Kirlew, Alexa Yeames, Jason Tobias… – Musique Aldo Shllaku – Durée 90 minutes. Distribué par Wild Side (25 juillet 2018).
L’histoire : Victimes d’une crevaison, six étudiants en covoiturage sont contraints d’arrêter leur véhicule au milieu de nulle part. Mais le pneu n’a pas crevé par accident… Et soudain les balles pleuvent : un mystérieux sniper les a pris pour cible. Ils sont seuls. Sans défense. Un terrible jeu du chat et de la souris commence.
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