[Critique] ANOTHER DAY OF LIFE de Raul de la Fuente et Damian Nenow
Civil War

Film atypique, Another Day of Life l’est autant dans sa forme que dans la conjonction de son esthétique et de son propos. Au carrefour de la fiction animée et du documentaire en prises réelles, le premier film du duo Raul de la Fuente et Damian Nenow surprend par son audace et par sa force de conviction. Le film raconte un épisode du conflit armé qui a déchiré l’Angola en 1975, alors que le pays est en pleine guerre civile, dans la perspective d’une indépendance qui interviendra quelques mois plus tard. On y suit le journaliste polonais Ryszard Kapuscinski, parti couvrir le conflit afin de rendre compte au plus près et le plus fidèlement possible de la situation chaotique sur place, et qui cherche à tout prix à rencontrer un leader de la révolution sur la ligne de front sud. Another Day of Life est l’adaptation du livre éponyme de Ryszard Kapuscinski, reporter de guerre et correspondant permanent en Afrique, Asie et Amérique latine pour la Polish Press Agency, dont l’œuvre a été traduite dans plus d’une trentaine de langues et récompensée par de nombreux prix. Au sein du périple de Kapuscinski, le film navigue en permanence entre véracité et fiction, faisant défiler une galerie de personnages, de lieux et de situations. Dans cette entreprise de retranscription des tenants et aboutissants d’un conflit armé à la fois barbare et violent, mais également riche sur le plan humain, Raul de la Fuente et Damian Nenow se démarquent par un choix esthétique fort. Les cinéastes ont recours à l’animation en motion capture, associée à des prises de vue réelles, une orientation visuelle qui va constituer l’un des atouts majeurs de cette première œuvre.

De grandes responsabilités
Composé à 90 % de séquences animées, tournées initialement en motion capture avec des comédiens, scènes ensuite converties en animation à l’écran, Another Day of Life force le respect par son esthétisme très travaillée. Le rendu à l’écran est bluffant de véracité et d’énergie, il combine à merveille le réalisme, tout autant que la distance induits par la technique utilisée. Plus qu’un film d’animation, la ligne utilisée rapproche davantage le film d’une expérience de bande dessinée en mouvement. Mouvements qui frappent par leur réalisme poussé. Épousant la temporalité du périple du journaliste en 1975, les scènes d’animation sont associées à des prises de vue en live donnant la parole à des protagonistes rencontrés par Kapuscinski à l’époque, livrant des témoignages souvent touchants. Des scènes souvent magnifiées par la caméra des deux réalisateurs shootant des plans magnifiques de l’Angola d’aujourd’hui et qui éclairent d’un jour nouveau le récit de 1975. Les deux cinéastes achèvent leur assemblage visuel en ajoutant des scènes d’archives ancrant un peu plus le récit dans le réel. Cette multiplicité des techniques souligne les différentes temporalités et offre aux cinéastes une palette de possibilités. La Motion capture permet ainsi aux réalisateurs de proposer des scènes d’affrontement armé impressionnantes (et impossible à obtenir en vrai sans une enveloppe budgétaire à la hauteur), tout comme des plongées irréelles dans les songes, des visions dantesques que les cinéastes dépeignent à grand renforts d’envolées de couleurs. Cette juxtaposition de sources visuelles donne toute sa fraîcheur à Another Day of Life et en fait toute sa cohérence et sa pertinence. Le film est parcouru de séquences intenses, moments d’émotion, de suspense, ne négligeant pas les scènes difficiles lorsque le journaliste revient sur les lieux d’un génocide. Des scènes fortes, qui marquent autant par leur aspect graphique que par la capacité d’évocation qu’elles provoquent. Le film questionne par ailleurs l’implication et la déontologie du journaliste, le droit et le devoir d’informer étant une responsabilité lourde de conséquences, pouvant faire basculer le conflit.
Avec Another Day of Life, le duo de réalisateurs Raul de la Fuente et Damian Nenow s’attaque à un épisode marquant et meurtrier de l’histoire de l’Angola. Il livre une œuvre puissante, somptueuse visuellement et riche dans son discours. A ne pas manquer !
ANOTHER DAY OF LIFE. De Raul de la Fuente et Damian Nenow (Espagne/Pologne/Allemagne/Hongrie/Belgique – 2018).
Genre : Biopic/Drame/Guerre. Scénario : Raul de la Fuente, Amaia Remirez, David Weber, Niall Johnson, Damian Nenow d’après D’une guerre l’autre : Angola, 1975 de Ryszard Kapuscinski. Interprétation : Miroslaw Haniszewski, Vergil J. Smith, Tomasz Zietek, Olga Boladz… Musique : Mikel Salas. Durée : 86 minutes. Distribué par ESC Edition & Distribution (4 juin 2019).
L’édition Blu-ray d’ESC


TECHNIQUE. Œuvre aux esthétiques multiples, Another Day of Life brille sur tous ses supports. Animation, images d’archives, plans sublimes de l’Angola d’aujourd’hui, tout y est magnifique. La copie proposée est d’une richesse, d’une définition et d’un piqué absolument somptueux. Les couleurs y ont la part belle et donnent à voir de véritables tableaux chatoyants. Les scènes “réelles” ont elles aussi fait l’objet d’un soin tout particulier et leur rareté à l’écran souligne d’autant plus leur définition admirable. Un régal visuel.
Les deux versions 5.1 offrent un rendu sonore extraordinaire, ne négligeant aucune source et proposant tout un panel de détails sonores. La bande-son est riche et cette édition nous le fait bien ressentir. Dialogues puissants et nets, tirs de mitraillettes, musique et effets surround sont ébouriffants. L’immersion est totale. La version 2.0 est quant à elle un peu en retrait sur tous les plans, mais reste très largement fréquentable.
INTERACTIVITE. Dans un making of’ d’une quinzaine de minutes, les réalisateurs évoquent les raisons pour lesquelles ils se sont lancés dans le projet, pourquoi ils ont choisi la technique de Motion Capture, les contraintes de plateau. Le tout est agrémenté d’extraits du processus artistique et technique, de répétitions et d’instantanés du tournage. Les trois autres modules, plus courts, sont unilatéralement tournés vers la technique utilisée, il est vrai bluffante. On y découvre notamment des scènes montrées à plusieurs stades d’avancement. L’ensemble n’est pas inintéressant mais se révèle un peu redondant. On regrette par ailleurs que les bonus ne s’attardent pas un peu plus sur l’histoire et les personnages qui ont inspiré le film.
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