[Be Kind Rewind] WEST 11 de Michael Winner (1963)

Du cinéaste britannique Michael Winner, on retient en premier lieu la série des Death Wish (Un Justicier dans la ville), puissant thriller urbain avec Charles Bronson (et ses deux suites moins mémorables) qui a lancé, en 1973, le sous-genre du Vigilante Movie. On connaît également The Mechanic (Le Flingueur), toujours avec Charles Bronson en 1972 et l’excellent film d’horreur The Sentinel (La Sentinelle des maudits) en 1977. On connaît moins sa carrière anglaise, débutée dans les années 60 et marquée notamment par West 11 en 1963.
La découverte de ce long-métrage dans la carrière inégale de Michael Winner, surprend quand on connaît la suite de la filmographie, plutôt iconoclaste, du réalisateur, marquée notamment par des incursions dans le film de genre (western, vigilante movie, horreur). Dans West 11, on suit les pérégrinations d’un jeune homme, Joe Beckett, dans le bouillonnement du Swinging London des sixties. Lassé de son boulot de vendeur de costumes, de sa petite amie, de sa famille et de son environnement général, Beckett plaque tout afin de changer d’air, asphyxié par un establishment qui l’oppresse. Dans un style très réaliste, mais parcouru de sursauts aux limites de l’irréel, West 11 décrit donc les errements existentiels du jeune homme, par le biais d’une mise en scène évoquant ouvertement le cinéma de la Nouvelle Vague française, dont Winner se réclamait à l’époque. Dans un magnifique noir et blanc, le cinéaste balade sa caméra dans les rues de Londres, en volant parfois des plans exécutés sans autorisation préalable, en mode commando. Il suit le comédien Alfred Lynch, excellent dans le rôle de Beckett (même si Sean Connery a, un temps, été lié au film), naviguant entre clubs branchés, sa minuscule chambre sous les combles, un bar, un jardin public… Ce cinéma de l’errance est ici magnifié plastiquement par un Michael Winner déjà ouvertement maître de sa caméra.

Dans l’impasse

Dans la description de ce personnage qui se questionne, cherche à donner un sens à son existence et réfute la société qui l’entoure, on voit déjà apparaître les prémisses du personnage de Paul Kersey dans Death Wish. Ce-dernier, bien établi dans sa vie familiale accomplie et confortable, est brisé par un drame personnel et bascule dans un quotidien de violence rythmé par la traque des malfrats et le désir de vengeance. On retrouve dans cette démarcation violente ce même type de héros en marge de l’establishment (pour des raisons bien différentes), qui cherche également à donner un nouveau sens à sa vie. Si Paul Kersey y va de son côté régressif et son instinct primal, Joe Beckett opte quant à lui pour une errance plus longue et vaporeuse… avant lui aussi de déchanter et finir par laisser libre court à son instinct. En cela, il répond favorablement à la proposition d’un étrange personnage, ancien militaire aux accents méphistophéliques, qui lui commandite un meurtre. Beckett finit par succomber, conscient de l’impasse dans laquelle il se trouve et incapable de trouver un sens et un but à sa quête. C’est toute la remise en cause de son questionnement personnel qui est décrite dans West 11. Présenté comme cela, le film peut apparaître un long pensum pénible et arrogant. Pourtant, le cheminement parvient à capter l’attention par ses qualités plastiques tout d’abord, mais aussi par ses incursions au frontière du réel, ses personnages étranges (l’ex-militaire, le vieux bouquiniste, le témoin silencieux) et par une dernière partie qui bascule dans une atmosphère presque horrifique alors que Beckett approche de la demeure de sa future victime, dont la représentation emprunte très directement à l’imagerie de Psychose, jusqu’à une chute dans l’escalier reconstituée au plan près. West 11 est un film étrange, à la beauté formelle évidente, et qui dit beaucoup sur son époque. Un film pertinent à redécouvrir dans la collection Make My Day ! de Jean-Baptiste Thoret.


WEST 11
Michael Winner (Royaume Uni – 1963)

Genre Drame – Interprétation Alfred Lynch, Kathleen Breck, Eric Portman, Diana Dors… – Musique Stanley Black – Durée 93 minutes. Distribué par Studio Canal dans la Collection Make My Day ! (24 avril 2019).

L’histoire : Fils renégat de gens de classe moyenne, Joe Beckett, 22 ans environ, se décrit lui-même comme ‘un lépreux émotif’. Il se dit qu’il a besoin d’un choc violent pour repartir dans la vie. C’est alors qu’un homme rencontré par hasard dans un café lui demande de tuer un parfait étranger..


L’édition de Studio Canal

Technique : ★★★★☆
Interactivité : ★★★★☆

Technique
L’édition présentée ici propose une sublime image en noir et blanc magnifiée par un travail de restauration exemplaire. Que ce soit au niveau des contrastes et de la luminosité, d’excellentes tenues, le film de Winner se voit pourvu d’un écrin visuel magnifique. Quelques défauts d’images persistent de ci de là, mais rien de rédhibitoire.
L’ambiance sonore du film est elle également proposée avec vigueur dans une unique piste anglaise extrêmement dynamique. La musique jazzy y est admirablement mise en valeur, tout comme les dialogues, particulièrement claires.

Interactivité
En termes d’interactivité, West 11 joue la carte de la simplicité et de la qualité, plutôt que la quantité. Le film est tout d’abord présenté par le critique et réalisateur Jean-Baptiste Thoret, qui dirige la collection Make My Day ! chez Studio Canal, au sein d’un segment introductif de 8 minutes qui pose le contexte et permet de découvrir l’oeuvre, rappelons-le, assez méconnue. Une entame idéale avant d’aborder le film. Puis, un second module donne la parole au journaliste et critique Yal Sadat qui, en une cinquantaine de minutes passionnantes, évoque la carrière de Michael Winner et ses particularités, avant de décortiquer plus spécifiquement West 11, le replaçant dans son époque, abordant ses influences et livrant des clés de lecture clarifiant et approfondissant le sens du film. Deux modules indispensables qui complètent idéalement le visionnage du film.

Par Nicolas Mouchel

Créateur d'Obsession B. Journaliste en presse écrite et passionné de cinéma de genre, particulièrement friand des œuvres de Brian De Palma, Roman Polanski, John Carpenter, David Cronenberg et consorts… Pas insensible à la folie et l’inventivité des cinéastes asiatiques, Tsui Hark en tête de liste… Que du classique en résumé. Les bases. Normal.
Contact : niko.mouchel@gmail.com

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