[Critique] LAISSEZ BRONZER LES CADAVRES d’Hélène Cattet et Bruno Forzani
Quand le hard boiled prend le soleil au bord de la Méditerranée ! C’est là-bas que Hélène Cattet et Bruno Forzani ont décidé d’emmener leur cinéma sensitif, faisant de leur troisième long-métrage une œuvre à part dans l’environnement cinématographique français actuel. Puisant leurs influences dans les Giallos et les westerns italiens des années 60 et 70, les deux réalisateurs frappent encore un grand coup de burin.
Adapté du roman noir Laissez bronzer les cadavres, écrit par le duo Jean-Pierre Bastid et Jean-Patrick Manchette en 1971, le film prend place dans un village abandonné entre la mer Méditerranée et les montagnes corses. Seulement occupé par une artiste déjantée et un écrivain à la dérive, le village est la planque parfaite pour la bande de brigands de Rhino qui vient de dérober 250 kg d’or ! Le décor “personnage principal du film” selon les réalisateurs, est planté ! La chaleur, les ruines, l’étendue d’eau désertique et les maquis montagnards vont devenir le théâtre d’un western sous acide, sur fond de trahison et de fusillades musclées.
Percutant, coloré et nerveux
Le film attaque en jouant énormément sur le changement de focale et la composition de plans travaillés et esthétique pour planter le décor et les personnages. “Le livre de Manchette et Bastid appuyait beaucoup le côté comportementaliste, assure Hélène Cattet, les personnages sont définis par ce qu’ils font et non par un background expliqué au préalable”. Laissez bronzer les cadavres retranscrit au mieux cette idée en faisant de l’espace temps du film, le seul biais d’interprétation du caractère des personnages, mais aussi en ne donnant de nom qu’à trois d’entre eux.
Visuellement, le film rappelle certains aspects de bande dessinées, notamment au niveau du découpage rapide et percutant des premières minutes. Les gros plans entre les différents protagonistes s’alternent en même temps que s’installe l’ambiance graphique du film. Rouge, vert, bleu, jaune, les couleurs vives prennent de la place jusqu’au générique ultra saturé ou au moment de flashback onirique faisant la part belle à l’or. Entre ce qu’on voit et ce qu’on entend, la mayonnaise prend bien.
Le film ayant commencé sur des chapeaux de roues, il ne compte pas ralentir la vitesse, au contraire. Après avoir braqué un énième fourgon de banque, Rhino et sa bande sont forcés de prendre en stop une femme, son fils et leur servante qui s’avèreront être ceux de l’écrivain Max Bernier. L’élément perturbateur est là, ce qui ne manquera pas d’attiser la curiosité des policiers qui font cap sur le village abandonné. À partir du premier coup de feu, tout s’emballe, le village se transforme en lieu stratégique où chaque mouvement compte. Le montage est très rapide, donnant une dynamique parfois dure à suivre. Surtout quand certaines scènes de tension lente ralentissent cette dynamique. Donnant un effet de rapide – ralenti – rapide qui a de quoi déconcerter. Le monteur Bernard Beets se revendique de la méthode de montage propre au film hongkongais, c’est à dire un montage ultra rapide. À ce niveau, le film agresse quasiment le spectateur en abusant des « cut ». Et le son fait passer le film dans une autre dimension.
Sensoriel sensationnel
Comme on pouvait s’y attendre, les deux réalisateurs du dyptique Amer (2010) et L’étrange couleur des larmes de ton corps (2013), continuent leur bonhomme de chemin dans leur cinéma sensoriel à 200%. Le son de chaque objet, vêtement, mouvement de l’air est optimal. “Pour nous, le son fait partie intégrante de l’action, précise Bruno Forzani, certaines textures de son ne peuvent sonner que lorsqu’on les réalisent en post-prod”. Comme sur les deux derniers long-métrages, le sound design de Laissez bronzer les cadavres éclate tout sur son passage. Des mouches qui passent à l’écran au cuir qui couine à chaque geste, le film grince, grésille et pétarade à tout va ! Le son des armes à feu est notamment très esthétisé au point d’être pris au ventre à chaque coup de feu ! Véritable outil de narration et de mise en scène, le travail sur le son de Laissez bronzer les cadavres assure de placer le duo Cattet/Forzani parmi les figures du cinéma sensoriel.
Malgré les codes très précis du western et du Giallo, le film ne s’enferme pas dedans, propose une mise en scène propre et ne tombe pas dans les clichés. Certaines idées comme celle de représenter les mouvements des personnages avec ceux des fourmis sur un plan du village sont très intéressantes et innovantes. Le film a un côté rafraîchissant, sorte de western à la sauce corse qui prend bien.
Une dynamique constamment brisée
Dès le début, le film prend le parti pris de chapitrer l’action par l’heure. Un écran noir et l’heure qui s’affiche en rouge et en grand. “Ici, on a repris le mode chapitrage du livre », explique Hélène Cattet. L’heure n’est pas juste linéaire qui plus est, il arrive que l’on revienne dans le temps de quelques secondes ou minutes pour voir l’action du point de vue d’un autre personnage. Ce système permet de connaître la situation de chaque protagoniste dans un film où l’on se cache beaucoup ! Même si l’idée est intéressante et fonctionne, il en reste que c’est souvent trop par instants. Le montage extrêmement rapide accentue cet effet, mais il arrive que certaines scènes n’apportent pas grand chose et aurait pu être coupées. La dynamique de plusieurs scènes de tensions et d’actions est parfois cassée net par le découpage brutal et le besoin d’afficher l’heure même si ce n’est que de quelques secondes !
“À l’inverse du livre, on ne décompte pas l’heure jusqu’à la fin”, rappel Hélène Cattet. Vers la fin, l’horloge s’arrête brusquement. Censé être une perte de repère pour le spectateur, c’est plus un soulagement qu’un déboussolement. On continue tout simplement de suivre l’action (beaucoup plus fantastique certes !) sans plus se soucier de l’heure qui reste anecdotique au final.
Audacieux et psychédélique
Suite à la “cassure”, le film rentre dans une phase plus acide et psychédélique en continuant de suivre l’avancement de la fusillade. Se révèle alors le personnage principal du film, à savoir la femme peintre nommée Luce. Elle est la femme forte du récit, par ses flashbacks, son côté décalé et son attitude face à la fusillade, elle reste en marge du reste des personnages (elle est même considérée comme folle pour certains). Apportant le versant fantastique au long-métrage, Luce donne l’impression de contrôler son environnement qui vire au psychédélique. Les instants oniriques se mêlent à la réalité, faisant de Luce l’acteur principal de la fin du film.
Je rapproche beaucoup Laissez bronzer les cadavres du film Grave de Julia Ducournau, sorti plus tôt cette année. D’abord parce qu’ils sont tous les deux des co-productions belgo-françaises, preuve s’il en est, que cela reste compliqué de produire des films de genre en France en 2017. Les deux films correspondent aussi sur le plan de “l’audace” qu’ils incarnent. Par audace, j’entend l’originalité de telles œuvres dans le paysage cinématographique français actuel. Plaisant, tonifiant mais surtout prenant, ces deux longs-métrages livrent un vent de fraîcheur sur le cinéma de genre plus que bienvenu. On en redemande !
LAISSEZ BRONZER LES CADAVRES
Hélène Cattet et Bruno Forzani (France/Belgique – 2017)
Genre Thriller / Western – Interprétation Elina Löwensohn, Stéphane Ferrara, Bernie Bonvoisin…
Durée 90 minutes. Distribué par Shellac.
L’histoire : La Méditerranée, l’été : une mer d’azur, un soleil de plomb… et 250 kilos d’or volés par Rhino et sa bande! Ils ont trouvé la planque idéale : un village abandonné, coupé de tout, investi par une artiste en manque d’inspiration. Hélas, quelques invités surprises et deux flics vont contrecarrer leur plan : ce lieu paradisiaque, autrefois théâtre d’orgies et de happenings sauvages, va se transformer en un véritable champ de bataille… impitoyable et hallucinatoire
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