[Dossier] HAMMER 1970-1976 SEX AND BLOOD
Grandeur et décadence chez les Monstres

Avec l’imposant coffret Hammer 1970-1976 Sex and Blood, l’éditeur français Tamasa propose une plongée dans la période la plus décriée de la Hammer avec sept films à redécouvrir au format blu-ray. Le célèbre studio anglais a brillé dans les années 50/60, imposant des relectures des grandes figures du cinéma horrifique (Dracula, La Momie, Frankenstein and co) dans un style gothique au technicolor flamboyant. Pourtant, loin de l’époque dorée, c’est bien dans une période moins célébrée, entre 1970 et 1976, que se concentrent les efforts de l’éditeur, dont l’objectif ici est de mettre à jour des œuvres un peu moins illustres du studio fondé par William Hinds et Enrique Carreras. Une période compliquée financièrement, alors que le studio peinait à trouver un second souffle, à se mettre à la page d’un cinéma fantastique et horrifique en pleine mutation. Suite aux succès de La Nuit des Morts-vivants de Georges A. Romero, Rosemary’s Baby de Roman Polanski ou encore L’Exorciste de William Friedkin qui imposent de nouveaux standards dans le cinéma horrifique, le studio anglais commence à perdre la main et ses productions gothiques prennent du plomb dans l’aile. C’est l’époque de la modernisation pour la Hammer, des tâtonnements et des expérimentations, qui marque également un déclin inéluctable. Une période charnière illustrée à travers ces sept films proposés en haute définition, après un passage sur grand écran pour une ressortie nationale. Petit tour des joyeusetés, qui ne boxent pas toutes dans la même catégorie…
Les traditions ont la peau dure !
Parmi les sept films de cette sélection, certains affichent clairement les stigmates de cette période de transition et de balbutiements. Entre tradition et modernité, le cœur du studio Hammer balance… C’est le cas pour Les Cicatrices de Dracula réalisé par Roy Ward Baker en 1970. Le film reste très classique et ne révolutionne rien, les amateurs y retrouveront sans aucun problème les motifs bien connus de la saga : le comte vampire interprété pour la cinquième fois par l’inoxydable Christopher Lee renaît de ses cendres, des cadavres de jeunes femmes vidées de leur sang, des villageois apeurés, un château gothique en diable, un invité impromptu qui arrive au mauvais moment… Le film suit assez mollement et sans grand panache le balisage éprouvé du genre, se rapprochant même très nettement de l’œuvre originale de Bram Stocker par certains aspects. Quelques particularités notables viennent cependant le démarquer des précédents opus réalisés par Terrence Fisher, un semblant de comédie et de légèreté font leur apparition à travers le personnage de citadin quelque peu déluré et libertin, qui dans le sillage d’un Jonathan Harker, vient se frotter (par le plus grand des hasards néanmoins) au comte vampire. Autre évolution notable, dans sa volonté de coller aux tendances de l’époque, la Hammer ne lésine plus sur les effets gores avec des effusions plus prononcées et filmées frontalement, la scène de l’église est à ce titre une vraie boucherie, avec un sang plus rouge vermeil que jamais. Loin d’être inoubliable mais plutôt agréable, Les Cicatrices de Dracula fait office de mise en bouche et marque la fin d’un Dracula gothique qui mettra ensuite un pied dans l’époque moderne (Dracula vit toujours à Londres, Dracula 73…)…



On retrouve ce même esprit de greffe entre tradition et nouveaux horizons dans Les Horreurs de Frankenstein, réalisé et scénarisé la même année par Jimmy Sangster (Hurler de Peur). Reprenant une fois encore l’œuvre de Mary Shelley, un an seulement après Le Retour de Frankenstein de Terence Fisher, Sangster orchestre une déclinaison du mythe qui n’hésite pas à prendre certaines distances, se démarquant sur bien des points de son modèle, c’est ce qui fait tout le sel du film, qui se permet d’apporter une bonne dose d’humour très noir à son récit horrifique. Le plus parlant reste la caractérisation du docteur Victor Frankenstein lui-même, interprété par un Ralph Bates impérial. Présenté comme sûr de lui, égocentrique, impertinent, prétentieux, coureur de jupons, le personnage est, paradoxalement, rarement apparu aussi humain et presque touchant dans sa volonté inoxydable de donner la vie à un être fait de morceaux de cadavres rapiécés. Moderne dans son approche, le personnage sort du carcan propre sur lui dans lequel il était apparu jusque là… Quant à l’épilogue du film, assez incroyable par son minimalisme et son humour noir, il vient casser le schéma habituel en faisant trépasser la créature (ici incarnée par David “Dark Vador” Prowse) de manière presque accidentelle… De quoi valider l’ensemble du projet de Sangster, et nous faire applaudir des deux mains un film au charme indéniable et à réévaluer très largement.



Après Dracula et Frankenstein, c’est au tour de la Momie de faire sa mue dans La Momie sanglante de Seth Holt, sorti en 1971. Là encore, on se retrouve face à un film qui, contrairement à ce que son titre français laisse entendre, tente de s’écarter des habituelles péripéties de la créature à bandelettes “made in Hammer”. On y retrouve surtout une jeune femme sexy possédée par l’esprit d’une ancienne reine égyptienne aux pouvoirs surnaturels. Et de fait, le personnage incarné par Valerie Leon voit son existence progressivement liée à cette déesse maléfique, il faut dire que son père et un groupe d’explorateurs ont profané son tombeau en s’emparant d’objets de culte destinés à la faire renaître. Adapté du roman Le Joyau des sept étoiles de Bram Stocker, La Momie sanglante joue la carte de la machination surnaturelle avec débordements sanglants. Le film est construit sur une double temporalité que le réalisateur et le scénariste Christopher Wicking peinent cependant à rendre passionnante. Ambitieux mais un peu trop nébuleux, le film en devient mécanique dans la mise à mort de ses personnages secondaires. On retiendra néanmoins quelques scènes gores bien senties et surtout la sublime Valerie Leon dans un double rôle sexy où les charmes avantageux de la comédienne sont largement mis en valeur. Et un plan final assez osé où, tel un pied de nez, la momie tant attendue durant 90 minutes fait une brusque apparition que l’on n’attendait plus réellement…



Un chef d’œuvre dans le brouillard
Attention Chef d’œuvre ! Durant cette période du début des 70’s marquée par des expérimentations et des greffes de genres intéressantes mais pas toujours convaincantes, la Hammer est parvenu à livrer quelques réussites éclatantes, voire d’incontestables chefs-d’œuvre. Docteur Jekyll and Sister Hyde réalisé par Roy Ward Baker en 1971 est en effet une date pour le studio anglais. Adaptant l’histoires de Robert Louis Stevenson, L’Etrange cas du Docteur Jekyll et de Mister Hyde (1886) en l’entremêlant astucieusement avec la sordide affaire de Jack L’Eventreur, le scénariste Brian Clemens, à qui l’on doit l’incontournable série The Avengers (Chapeau melon et bottes de cuir), construit un récit horrifique d’une richesse thématique assez bluffante pour l’époque et dans le cadre des productions Hammer. Troquant avec malice la potion métamorphosant le docteur en être vil et agressif en un élixir de jouvence faisant de lui une femme sexy (Martine Beswick y est sublimissime), Clemens s’amuse à faire voler en éclat et détourner le carcan des conventions très marquées à l’époque entre les sexes. Par le biais de savoureux dialogues à double sens, il décrit un homme devenant littéralement une femme, dont l’être profond est progressivement dévoré par son double féminin. Une variation transgenre du célèbre mythe de Jekyll and Hyde, parsemée de saillies érotiques, voire sexuelles (il faut voir le personnage contempler sa poitrine avec délectation dans le miroir) et une bonne dose d’immoralité, le film évoquant très clairement les contours d’un potentiel plan à quatre, réunissant qui plus est un frère et une sœur, chacun attirés par l’une des personnalités de l’assassin. Une audace totale et payante qui apporte un contenu passionnant à cette adaptation libre d’une richesse thématique incroyable, qui plus est portée par une mise en scène toute en ingéniosité (les jeux de miroir, reflets et autres vitres cassées signifiant la psychée perturbée du personnage) de Roy Ward Baker. Le cinéaste habitué de la Hammer (Les Monstres de l’espace en 1967, The Vampire Lovers et Les Cicatrices de Dracula en 1970), y décrit un Londres inquiétant aux ruelles étroites plongées dans le brouillard. On pourra, au passage, estimer que Docteur Jekyll and Sister Hyde est la plus belle et évidente illustration de cette envie de métamorphose que le studio anglais tentait alors de concrétiser, lui qui aurait aimé se détacher de son aura gothique à la Jekyll, pour mieux embrasser la modernité provocatrice de Hyde…



Modernisme et déconstruction
Avec les trois derniers films proposés dans le coffret Tamasa, cette plongée dans la Hammer période 70’s laisse de côté pour de bon ses schémas traditionnels pour embrasser plus ouvertement une démarche plus actuelle et moderne (pour l’époque). Sueur froide dans la nuit délaisse le surnaturel et revêt les atours du thriller psychologique manipulateur paranoïaque. Son aura mystérieuse, son ambiance froide et dérangeante sont principalement liées au décor de l’institut privé au sein duquel se déroule l’histoire. Le troisième film réalisé pour la Hammer par le scénariste Jimmy Sangster en 1972 délaisse les reconstitutions historiques pour un récit contemporain se déroulant dans ce sinistre établissement isolé au milieu de la campagne anglaise. C’est là qu’un couple de citadins décide de s’installer et c’est que l’épouse, traumatisée par une récente agression, croit en apercevoir l’auteur dans les couloirs de l’établissement… Également au scénario, Jimmy Sangster n’élude pas ses influences, au premier rang desquelles figure Les Diaboliques d’Henri-Georges Clouzot. Auteur du scripte de l’excellent Hurler de Peur réalisé par Seth Holt, qui rejouait déjà la partition du chef d’œuvre de Clouzot en y associant l’influence de Psychose, Sangster ne récidive pas avec autant de brio. Le film ne parvient jamais réellement à faire monter la tension, l’ensemble reste trop classique. Restent néanmoins l’interprétation convaincante du couple interprété par le toujours excellent Ralph Bates et Judy Geeson (L’Étrangleur de la place Rillington), ainsi que la présence d’un Peter Cushing énigmatique… Une tentative là encore pas déméritante mais au mystère central malheureusement trop rapidement éventé.



De mystère, il en est également question dans Les Démons de l’esprit sorti en 1973. Un film atypique pour la Hammer, qui joue volontairement la carte du vertige et de la désorientation narrative en plongeant le spectateur dans un XXe siècle déviant, où le comte Zorn retient prisonnier dans son château sa fille et son fils, persuadé que sa famille souffre d’une malédiction héritée de leur mère. Une histoire de captivité aux relents surnaturels et incestueux qui confirme un peu plus la nouvelle orientation du studio. Même si on peut y décrypter des références à la lycanthropie, bien que le phénomène ne soit jamais réellement cité ni explicité, le film réalisé par Peter Sykes (Une Fille pour le Diable) emprunte une voie assez peu commune pour le studio, celle d’une narration volontairement déstructurée et non-linéaire que l’on doit au scénario signé Christopher Wicking (La Momie sanglante). A l’image de son introduction quasi-muette et intrigante, le film se permet de ne pas livrer toutes les clés de compréhension. C’est sa plus grande qualité, il laisse le spectateur relier les fils de cette étrange histoire mêlant superstition et approche scientifique, évoquant sans le dire réellement la mythologie du loup-garou tout autant que celle du serial killer. Les Démons de l’esprit, comme son titre semble l’indiquer, est surtout un film sur la folie, tous les personnages se révélant plus azimutés les uns que les autres : du père paranoïaque au frère et à la sœur à la relation ambiguë, en passant par le médecin hypnotiseur (interprété par Patrick Magee d’Orange Mécanique), une galerie de protagonistes assez insaisissables, marquée par le jeu outrancier des comédiens, à la mesure d’un script qui, malheureusement, pêche par une disparité un peu trop prononcée, complexifiant artificiellement une histoire aux enjeux relativement basiques au demeurant. Mais on retiendra en premier lieu cette ambition et cette prise de risque, un vrai pari de la part de la Hammer, qui confirme sa volonté de couper le cordon avec ses standards habituels.



Chemin de croix
Comme un dernier clou planté dans le cercueil, la Hammer poursuit son chemin de croix en livrant un ultime baroud d’honneur en 1976 avec Une Fille pour le Diable, avant extinction des feux. Toujours dans cette même volonté de raccrocher les wagons du succès et à la recherche d’une inspiration renouvelée, quoi de mieux dès lors de piocher dans les gros succès du moment : à commencer par L’Exorciste de William Friedkin et Rosemary’s Baby de Roman Polanski. Du satanisme et des rituels occultes à la sauce moderne en veux-tu en voilà, que les producteurs vont chercher du côté de chez Dennis Wheatley, auteur spécialisé dans les histoires d’occultisme et déjà passé sous pavillon Hammer avec l’adaptation de son roman Les Vierges de Satan (1968). C’est le scénariste maison Christopher Wicking (Les Démons de l’esprit) qui s’y colle et remodèle l’histoire du livre, tandis que Peter Sykes rempile derrière la caméra, au sein d’une production très chaotique, marquée par d’innombrables réécritures du scripte pour un résultat qui, malheureusement, s’en ressent à l’écran. Beaucoup de dialogues et de symbolisme un peu too much, mais aussi une ambiance oppressante qu’on ne peut nier. Et des scènes chocs, notamment un accouchement très douloureux, un bébé démon dégueulasse, un plantage de peigne dans la gorge bien brutal, une orgie sexuelle qui dénote dans une production Hammer. Mais surtout, la grande curiosité du film réside dans l’une des premières apparitions à l’écran de Nastassja Kinski, alors âgée de 14 ans. Elle y incarne une jeune nonne manipulée par une secte, dans le but d’accueillir une entité diabolique. La jeune comédienne se montre particulièrement crédible et s’investit énormément (quitte à se dénuder totalement pour un full frontal qui fera date !). A ses côtés, on retrouve un Richard Widmark en fin de carrière, ici un peu rouillé et surtout, l’indéfectible Christopher Lee, qui s’octroie un rôle savoureux de méchant gourou. Dans un style très dépouillé et froid, à l’ambiance malaisante, Une Fille pour le Diable est avant toute chose une œuvre atmosphérique, au rythme lancinant, mais qui ne parvient jamais réellement à jouer du côté viscéral qui rendait ses modèles si impressionnants. Le plus gros souci du film reste sa partie finale, complètement revue par rapport au projet initial, bien plus ambitieux et démonstratif, ici réduit à peau de chagrin, une confrontation clairement trop sage et anti-spectaculaire qui fait retomber le soufflet de tout ce qui a précédé. Une Fille pour le Diable apparaît comme un film autre pour la Hammer, mais ne peut jamais ne serait-ce qu’espérer jouer dans la même cour que ses modèles. Four commercial à sa sortie, le film enterre le studio, ou tout du moins, le placera en mort cérébrale durant de longues années…



Bien que les films réunis dans ce coffret présentent de nombreux défauts, approximations de tons et de d’expérimentations pas toujours heureuses, on ne peut que reconnaître l’intérêt d’une telle proposition éditoriale, avec des œuvres qui en disent long sur une époque et sur les tourments d’un studio majeur de l’histoire du cinéma. C’est en cela qu’il apparaît comme fortement recommandable. A noter que l’éditeur a prévu de sortir en 2021 un second coffret, étrangement intitulé “Tome 1”, cette fois-ci consacré à huit films des années 60.

HAMMER 1970-1976 SEX AND BLOOD
Roy Ward Baker, Peter Sykes, Jimmy Sangster, Seth Holt (Royaume-Uni – 1970, 1971, 1972, 1973, 1976)
GENRE Horreur/Fantastique – INTERPRETATION Christopher Lee, Peter Cushing, Patrick Magee, Yvonne Mitchell, Valerie Leon, Nastassja Kinski, Ralph Bates, Martine Beswick, David Prowse… – MUSIQUE James Bernard, Harry Robinson, Paul Glass, Malcolm Williamson, David Whitaker, Tristam Cary, John McCabe – DUREE 657 minutes. Distribué par Tamasa (27 novembre 2020 ).
Synopsis : Dans ce « Tome 2 » centré sur les années 70 qui fût une période de remise en question pour le studio anglais, l’éditeur Tamasa a souhaité présenter une large palette du cinéma de la Hammer, mêlant vampirisme, horreur, satanisme, terreur, folie… et quelques momies. .
Le coffret Blu-ray de TAMASA
TECHNIQUE. N’ayant pas eu en notre possession les disques de l’éditeur, nous ne pouvons malheureusement pas émettre un avis sur la qualité technique de cette édition.

INTERACTIVITE. Le coffret de Tamasa met en valeur chacun des films en lui associant une longue présentation par l’incontournable Nicolas Stanzick, journaliste spécialiste de la Hammer. Mise en contexte, description des étapes de fabrication (scénario, acteurs, tournage, montage, musique), il propose une foultitude d’informations et d’anecdotes, renforçant l’intérêt et la perception des films, puisqu’il n’oublie pas d’y apporter des pistes d’analyses souvent très pertinentes. Malgré quelques petites approximations et erreurs, des compléments souvent passionnants à la vision des films. En parallèle, l’éditeur ajoute pour certains d’entre eux une featurette anglaise produite par Studio Canal, apportant un nouvel éclairage, voire des pistes analytiques complétant parfaitement l’approche de Nicolas Stanzick. Seul bémol : certains films sont exemptés de ces documentaires anglais : La Momie sanglante, Sueurs froides dans la nuit et Une Fille pour le Diable.
Je partage ton avis sur chacun de ces films… Grande sympathie pour Les Horreurs de Frankenstein que j’ai découvert grâce à ce coffret et admiration totale pour Dr Jekyll & Sister Hyde qui est en effet un pur chef d’oeuvre que je reverrai avec plaisir en HD prochainement.
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J’avais beaucoup entendu de bien sûr Dr Jekyll et sister Hyde, mais j’étais loin de m’imaginer qu’il s’agit d’un des meilleurs Hammer de l’histoire !!! Et comme d’habitude, tes goûts sont remarquables Foxart !!! 👍😀
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