[Critique] SPLIT de M. Night Shyamalan
C’est le grand retour en grâce de M. Night Shyamalan ! Cinéaste rapidement porté aux nues (à juste titre) pour un combo miraculeux de films essentiels (Sixième Sens, Incassable, Signes et Le Village), puis vilipendé de manière quelque peu abusive pour des œuvres moins définitives (Le jeune fille de l’eau, Phénomènes, Le dernier maître de l’air et After Earth), Shyamalan s’est bâti une carrière dont la scission apparaît un peu trop radicale pour être honnête…
Après une série télé qui a fait rejaillir l’espoir (Wayward Pines en 2015) et un micro budget estampillé Jason Blum proprement terrifiant et extrêmement efficace qui l’a remis sur le devant de la scène (The Visit également en 2015), Shyamalan reprend aujourd’hui du poil de la bête et confirme un retour au premier plan et à une certaine ambition cinématographique avec Split. Avec cette nouvelle réalisation, toujours sous la houlette Blumhouse productions, le cinéaste dresse l’effrayant et pas moins passionnant portrait de Kevin, jeune homme qui, suite à une enfance traumatisante, souffre de troubles dissociatifs de l’identité, pathologie qui l’amène à endosser 23 personnalités différentes au rythme de ses humeurs. Il enlève trois jeunes filles et les séquestrent, dans le but de « nourrir » sa 24e personnalité naissante… Film psychologique et braqué sur l’humain, Split présente toutes les caractéristiques d’un grand cru pour le réalisateur de Sixième Sens. Le cinéaste est obsédé depuis ses premières œuvres par les questionnements sur le bien et le mal, le poids des responsabilités et les secrets enfouis qui rejaillissent. On retrouve évidemment ces thématiques ici, avec un sens de l’écriture et de la mise en scène qui font de lui l’un des cinéastes américains contemporains les plus méticuleux et cérébraux qui soient.
Labyrinthe psychique
Split est à nouveau une merveille de mise en scène, une vaste mécanique de précision dont les engrenages de réalisation (virtuose) et d’intrigue se nouent dans une harmonie totalement porteuse de sens. Par delà le potentiel de son concept de base, où les victimes sont séquestrées et vont chercher à s’enfuir durant une bonne partie du film, Shyamalan, auteur du scénario comme à son habitude, tire un récit qui emmène le spectateur dans des directions plutôt inattendues. Si le film est efficace dans sa mise en place du suspense, il développe avant tout le rapport ambiguë entre la jeune Casey et son kidnappeur, Kevin. Le lien qui unit les deux personnages est au cœur du projet de Split, il naît dans le traumatisme enfantin qu’ils ont tous deux vécus et que l’un et l’autre n’ont pas digéré de la même manière. Ce qui isole de façon évidente (notamment dans le cadre) la jeune fille de ses camarades également séquestrées. La jeune Anya Taylor-Joy, déjà remarquable dans The Witch de Robert Eggers, y trouve une nouvelle composition saisissante. Personnage mystérieux au début, elle se révèle la plus pertinente des trois jeunes captives dans les émotions retenues qu’elle affiche vis à vis de son bourreau. Pour elle, l’objectif est clair : s’adapter à son kidnappeur, se servir des personnalités du jeune homme, et en l’occurrence, de celle d’Hedwig, un enfant de 9 ans, pour parvenir à s’échapper. Face à elle, James McAvoy livre une performance remarquable, continuellement sur la brèche entre justesse du trait et cabotinage éhonté.
L’art de la surprise
Shyamalan a la grande intelligence de ne pas faire de la pathologie de son personnage un gimmick spectaculaire. Au contraire, il s’évertue à la rendre crédible par le biais de séquences se déroulant chez la psychiatre, cette dernière tentant vaille que vaille de percer le secret de son patient. Véritable film cerveau, dont les circonvolutions sont représentées à l’écran par d’innombrables couloirs et portes à franchir, Split distille progressivement une ambiance claustrophobique, par un usage extrêmement calculé du hors-champ, du visible et de l’invisible. Il joue également sur la temporalité, l’attente, jusqu’à une dernière partie plus spectaculaire, dans laquelle le film met un pied dans le surnaturel, sans pour autant se montrer trop démonstratif. Quant à l’ultime scène, le « twist » tant attendu des amateurs du cinéaste, force est de reconnaître qu’il est plutôt osé, bien vu, et surtout, qu’il met en lumière la cohérence du projet de Shyamalan, véritable maître de la manipulation et de la surprise, qui préfère en premier lieu développer des personnages forts, plutôt que d’entrer trop brutalement dans l’action, poser des protagonistes, des enjeux et des aspirations, plutôt que de répondre aux formules toutes faites et aux exigences d’univers un peu trop évidents, étriqués et marketés. Le visible et l’invisible, le jeu sur les apparences et les attentes. Un beau pied de nez et surtout une opposition frontale aux méthodes et à la facilité des productions Marvel…
SPLIT
M. Night Shyamalan (USA – 2016)
Genre Thriller – Interprétation James McAvoy, Anya Taylor-Joy, Betty Buckley, Jessica Sula… – Musique West DylanThordson – Durée 117 minutes – Distribué par Universal Pictures.
L’histoire : Kevin a déjà révélé 23 personnalités, avec des attributs physiques différents pour chacune, à sa psychiatre dévouée, la docteure Fletcher, mais l’une d’elles reste enfouie au plus profond de lui. Elle va bientôt se manifester et prendre le pas sur toutes les autres. Poussé à kidnapper trois adolescentes, dont la jeune Casey, aussi déterminée que perspicace, Kevin devient dans son âme et sa chair, le foyer d’une guerre que se livrent ses multiples personnalités, alors que les divisions qui régnaient jusqu’alors dans son subconscient volent en éclats.
Votre commentaire