[Critique] GET OUT de Jordan Peele
Jordan Peele est un trentenaire afro-américain qui multiplie les casquettes sur ce premier long-métrage. Après avoir sévi dans la comédie, il s’attaque avec Get out au genre angoissant, cousin du rire. Son scénario original dépeint un racisme primaire transpirant des terres d’Alabama où les mentalités se muent, mais dans une étrange direction. Ce film au budget modeste mais au résultat très efficace est produit par Jason Blum qui multiplie les succès terrifiants comme Insidious (2011), Sinister (2012) ou Split, le dernier Shyamalan.
L’histoire se passe dans un Etat au lourd passé ségrégationniste où les plaies de la domination de l’Homme blanc sur son Frère noir sont loin d’être refermées et pansées à ce jour. Le protagoniste, Chris, est un artiste photographe afro-américain, la trentaine, il apporte un regard sur son environnement à travers des photos noir et blanc de ses congénères, dans lesquelles on peut voir facilement la projection du réalisateur. La trame, digne d’une série B, est simple, passer un week-end à la campagne avec Rose sa petite amie blanche qui va lui présenter ses parents dans la demeure familiale et coloniale au Nord de l’Etat, à l’écart de la mixité urbaine. Au-delà de l’appréhension de la rencontre avec les beaux-parents qui s’avèrent accueillants, libéraux et pro-Obama, un malaise s’installe inexorablement durant son séjour et Chris va devoir faire face à la vérité…
Qui sont les sociopathes ?
[Attention SPOILERS !] Get out, que l’on peut traduire par « Va-t’en », « Fuis », « Sors de là », est un titre court et efficace à l’instar de bons films d’angoisse comme Scream (1996) de Wes Craven, dans lequel Peele emprunte des codes avec une scène d’ouverture excellente, dans laquelle un jeune noir se retrouve à la nuit tombée dans un quartier résidentiel aisé où la communauté blanche prédomine. Il est perdu et essaye de joindre sa petite amie pour se rassurer mais, à l’opposé du film de Wes Craven, le danger ne vient pas du cocon familial et du téléphone, mais de l’environnement extérieur inconnu où il n’est pas à sa place. Le ton est donné et l’agresseur présumé rappelle étrangement l’un des « droogies » qui se serait échappé d’Orange Mécanique (1971) de Stanley Kubrick. Un climat malsain s’installe, illustré par une bande-son tragi-comique et son morceau déroutant « Run, rabbit, run » (1939, Flanagan & Allen), la chasse est lancée, à qui faire confiance, qui sont les sociopathes ?
Peele met en place une mise en scène sobre et efficace aux effets spéciaux réduits, respectant un budget modeste mais lui permettant de s’inspirer de classiques du genre et de jouer sur des « jump scares » à coups de champs/hors-champs et notes de violons bien senties. Les apparitions soudaines des employés de maison semblant lobotomisés et des gros plans sur leurs visages luttant contre la schizophrénie sont diablement flippants. Le réalisateur met en avant le doute du personnage central, le doute d’être suffisamment fort psychologiquement ou de s’écrouler sur ses faiblesses révélées. La sobriété des effets est aussi de mise dans cette scène du « gouffre de l’oubli », qui pourrait rappeler un vieil épisode de Twilight Zone (1959), où Chris s’enfonce dans un vide spatio-temporel et voit sa belle-mère à travers un écran de télévision, synonyme de sortie, qui rétrécit fatalement. L’effet, quelque peu kitch, n’en est pas moins convaincant paradoxalement.
Perte de repères
La faiblesse de Chris est son passé, un traumatisme d’enfance lié à la perte de sa mère qu’il n’a pas su secourir quand elle avait besoin de lui. Cette honte est dans sa chair et éclabousse le spectateur dans la scène du cerf renversé se mourant, il y voit sa mère et se montre incapable de bouger, de l’aider ou de le soulager de sa douleur, il ne peut laisser sa raison l’emporter sur ses terreurs. Le film joue sur sa chute inexorable, il est le gibier que l’on va d’abord guider, mettre en confiance puis détruire psychologiquement à petit feu avant de le saigner. Chris est en perpétuelle recherche de soupapes pour supporter la situation, des repères de confiance qu’il ne trouve pas, raciaux (les employés de maison, le seul autre noir de la garden party), pseudo familiaux (les explosions de violence du frère de Rose, sa mère qui souhaite l’hypnotiser) ou amicaux (son meilleur ami est resté en ville et leur lien téléphonique s’épuise au fil de la batterie qui se décharge).
La respiration n’est pas pour lui mais pour le spectateur qui profite de touches humoristiques tout au long de l’intrigue, ce qui ne gâche en rien le malaise sous-jacent. Elles sont essentiellement dues à Rod, le pote de Chris, rattaché à la sécurité de l’aéroport, lourdaud, outrancier et pourtant très lucide sur le danger imminent qui va s’abattre sur son ami. Le réalisateur/scénariste distille quelques dialogues sortis tout droit de son expérience de sketchs à la télévision américaine, comme cette scène où Rod, tente de convaincre la police qu’il a été enlevé en étant démesuré et très drôle à la fois. Il apporte une touche « Buddy movie » et rappelle si c’était nécessaire que le projet de Pelle reste un film de genre fun et décomplexé en premier lieu avant d’être une critique assumée de la condition noire aux Etats-unis.
On se prend aussi à rire sur des scènes à double emploi. Quand les invités de la garden party se taisent d’un coup, au moment où Chris monte à l’étage, avant de suivre ses faits et gestes à travers le plancher, tels des rapaces prêts à jaillir sur leur proie. Un moment jouissif et immoral à la fois.
Exutoire cathartique
Le réalisateur s’applique à laisser planer un climat d’incertitude sur celle qui accompagne Chris durant toute l’histoire, Rose, sa petite amie et rabatteuse. Elle est son soutien, assiste à tous les comportements étranges et se range toujours de son côté comme une personne équilibrée, le spectateur peut se projeter en elle jusqu’au dernier acte où cette méfiance environnante, cette violence psychologique et les faux-semblants volent en éclats.
Comment changer d’atmosphère, de représentation de la violence et d’enjeux sans déséquilibrer l’ensemble de la structure narrative ? Là est la difficulté pour Peele qui, usant de sa sensibilité comique, fait le choix naturel de virer dans le « Grand Guignol » pour un final en escalade où la crédibilité du scénario est secondaire au profit de l’hémoglobine et du rire, un choix discutable mais parfaitement cohérent.
Il prend le contre-pied d’un de ses films référence, La Nuit des morts-vivants (1968) de George A. Romero, où cette fois, le protagoniste noir survit et prend sa revanche sur tous ces blancs se croyant supérieurs, il les décime les uns après les autres comme un exutoire cathartique et en même temps, un conflit intérieur s’opère en lui : comment tuer des blancs (grand-père et grand-mère) dans le corps de ses frères noirs (le jardinier et la gouvernante) ?
Peele pousse le vice de tordre le coup à une génération de fans de Dirty Dancing (1987) d’Emile Ardolino en nous montrant une Rose caméléon écoutant « Time of my life », symbole d’une jeune fille rebelle qui veut s’extraire de son cocon héréditaire de petite bourgeoisie et embrasser la cause de l’artiste rebelle venu d’un milieu défavorisé par sa couleur de peau, un comble d’humour.
Jusqu’au bout, Get out nous renvoie à l’actualité et sa gravité sous couvert de dérision et d’une fin « Buddy movie ». Qui ne songerait pas à une bavure potentielle quand armé, Chris lève les mains ensanglantées face à une voiture de police, les représentants de l’ordre pouvant ouvrir le feu à tout moment sans sommations ? Mais comme se protégeant de toute censure aux Etats-Unis, pays gouverné par un président qui veut stigmatiser les immigrés mexicains en érigeant un mur d’intolérance et de suprématie, Jordan Peele s’assure un succès publique et critique en terminant avec le personnage solidaire et salvateur de Rod dans une « punchline » digne d’une bonne série B et de stand-up à la fois.
GET OUT
Jordan Peele (USA – 2017)
Genre Thriller – Interprétation Daniel Kaluuya, Allison Williams, Keith Stanfield, Catherine Keener, Bradley Withford… – Musique Michael Abels – Durée 104 minutes. Disponible en Blu-Ray et DVD chez Universal.
L’histoire : Chris, jeune homme noir, est invité par Rose, sa petite amie blanche, à passer le week-end dans la propriété de ses parents. D’emblée, le garçon ressent un étrange malaise, même si ses hôtes s’efforcent de paraître souriants et accueillants. Sans doute, pense-t-il, pour effacer la gêne liée à sa couleur de peau. Pourtant, suite à plusieurs phénomènes perturbants, Chris comprend que la réalité dépasse largement tout ce qu’il avait imaginé…
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