[Critique] STAR WARS : LES DERNIERS JEDI de Rian Johnson


Saga « bigger than cinema », la franchise Star Wars déchaîne les passions depuis plus de 40 ans et plus particulièrement ces 20 dernières années suite à la sortie de la nouvelle trilogie de Georges Lucas, quasi unanimement conspuée par les fans. A l’annonce de la mise en chantier de trois nouveaux épisodes suite au rachat de la licence par Disney, la machine à fantasmes a tourné à plein régime. Réalisé par J.J. Abrams, Le Réveil de la Force s’est attiré en 2015 une volée de bois vert par une large majorité d’adorateurs binaires et une bonne partie de la critique qui reprochait au film du créateur de Lost un épisode beaucoup trop référentiel et donc sans grande originalité ni ambition scénaristique. Deux ans après, Luke et sa bande sont de retour dans Les Derniers Jedi, devant la caméra de Rian Johnson. Le réalisateur, venu du cinéma indépendant et salué pour ses deux longs-métrages Brick et Looper, avait la lourde tâche de faire mieux qu’Abrams et de réconcilier tout le monde…
Sauf que réaliser un Star Wars est une tâche ô combien ingrate. La vindicte populaire est de retour. Et c’est désormais acté : on ne compte plus les débordements de haine vis à vis du film de Johnson, sur les réseaux sociaux notamment. Motif du courroux : le cinéaste, également scénariste de ce huitième épisode, a fortement secoué le cocotier et mis à mal les certitudes liées à la mythologie propre à la saga. L’objectif étant d’amener la franchise initiée par Georges Lucas sur des rails autres que le schéma que l’on nous sert sur un plateau depuis près de quatre décennies. Des intentions on ne peut plus courageuses et pas moins louables. Sauf que les premières réactions amènent à deux constats : 1- le spectateur (et à plus forte raison le fan de manière générale, le fidèle des débuts, comme le plus récemment converti) ne semble pas savoir ce qu’il veut. 2- Il ne semble pas voir plus loin que le bout de sa saga…

Mise en perspective
Au-delà de toute notion qualitative, force est de constater que ce nouvel opus est le plus riche en « matière » et le plus foisonnant thématiquement de toute la saga. Et de très loin. Depuis Un Nouvel espoir en 1977, chaque épisode de Star Wars est un modèle de simplicité. C’est ce que qui en fait toute le charme et c’est notamment ce contre quoi s’est fracassé Lucas avec les circonvolutions « politico-pouet-pouet » qui alourdissaient et embrouillaient artificiellement le récit de la prélogie. Le cas Les Derniers Jedi est tout autre. Disposant d’enjeux thématiques et émotionnels d’un autre niveau, et surtout d’une ambition dans ses différents arcs narratifs absolument inédite dans la saga (Rogue One mis à part), ce huitième opus met en perspective et triture littéralement les fondations même de la licence. Osé. Face à la vaste « opération de photocopillage » tellement décriée (à tort) du Réveil de la Force, c’est le jour et la nuit.
Ainsi, Rian Johnson ne se contente pas de faire du Star Wars prémâché, ni de régurgiter les codes de la série, il les utilise pour mieux les mettre en perspective et les plier à sa vision des choses. A travers le difficile récit d’apprentissage entre Rey et un Luke Skywalker vieillissant, aigri et pour le moins soupe au lait (ce jeté de sabre laser dès son premier plan est déjà complètement fou), qui au premier abord (seulement) pourrait renvoyer à l’épisode similaire de Luke et Yoda dans L’Empire contre attaque, le cinéaste envoie un message clair : les traditions, la transmission, le respect des légendes sont des concepts du passé desquels il faut s’affranchir (suivez mon regard). Pire, il remet en cause les fondements même de la Force, et tord le cou à l’idée qu’il s’agirait d’un pouvoir réservé à une certaine caste de personnages. Ici, Rey, fille de parents lambda, est la preuve éclatante que le pouvoir sommeille en chacun. Et qu’il suffit de savoir l’éveiller. Sacré coup derrière la tête pour l’aficionado de la saga. Perso, on applaudit des deux mains !

Déconstruction et faux-semblants
Les Derniers Jedi, dont le caractère méta est indéniable, se porte en pure oeuvre réflexive qui ne laisse rien au hasard. Il complexifie et interroge les notions de paternité et de filiation, mais plus encore, il joue habilement avec les idées de simulacres et de faux-semblants. L’ensemble des pistes narratives du film avancent à couvert, sous l’apparence de codes familiers (ceux de l’épisode V notamment), Johnson met en place avec malice son large plan de déconstruction du mythe, comme autant de fausses pistes, pour mieux surprendre le public. Le comportement et les motivations de Kylo Ren à l’égard de Rey ou encore de Snoke sont éloquents. Mais c’est un état que l’on retrouve également chez les rebelles, et plus précisément chez Leia et la vice-amirale Amilyn Holdo, dont l’apparent manque de discernement lorsqu’il s’agit de sauver rien moins que l’avenir de la rébellion n’est qu’un leurre face à un plan de sauvetage bien réel et une solution préparés en sous-marin. Même constat pour le rôle de Luke Skywalker dans le climax : les apparences sont trompeuses. Et que dire de cette façon quasi masochiste de multiplier les objectifs avortés. Dans Les Derniers Jedi, c’est bien simple : rien ne se passe jamais comme prévu. Le plus bel exemple réside dans la mission de Finn et Rose (arc narratif par ailleurs le plus faible du film), dont l’utilité est rapidement remise en cause, tandis que les personnages se font berner comme des bleus. Alors que l’un des personnages principaux fait face à son destin dans l’acte final, et qu’on semble tenir Le sacrifice de l’épisode, un acte inattendu l’empêche d’aller au bout de son destin.

Un tour de Force
De toute évidence, Rian Johnson, qui prend le contre-pied total de la démarche de J.J. Abrams, a dû beaucoup s’amuser à concevoir ce scénario criblés de faux-semblants et de tentatives de déconstruction de l’univers Star Wars. Loin d’un pur procédé cynique et gratuit, ces choix apparaissent au final salutaires dans l’optique de donner un second souffle à la saga. Ils sont surtout appliqués avec une telle intelligence et un tel degré de maîtrise du matériau cinématographique, qu’ils forcent le respect. Car quoi qu’en pensent les fans déçus, le film de Rian Johnson propose certaines séquences parmi les plus spectaculaires de la série. L’attaque spatiale d’ouverture, le combat associant Ren et Rey contre la garde rapprochée de Snoke, le bond en hyper-espace pour détruire le vaisseau amiral du premier ordre dans un silence assourdissant, le climax en trois parties sur la planète Crait qui dissimule sous un sable immaculé un sol rouge sang du plus bel effet (tout un symbole), l’ultime apparition de Luke Skywalker… Les Derniers Jedi regorge de morceaux de bravoure parmi les plus iconiques et surtout les mieux filmés de la saga.
Tout n’est pourtant pas parfait, et le film dispose de son lots de défauts : l’épisode de la planète casino, pas très bien écrit ni rythmé, des personnages peu exploités ou sans grande évolution depuis l’épisode 7 (Finn et Phasma sont de vraies déceptions, Rose et DJ existent à peine), quelques effets visuels laissant perplexe (Snoke, sérieux ?)… Mais la somme des défauts de ce 8e épisode ne gâche jamais l’ensemble d’un film à un niveau inattendu de sens. Car en contrepartie, Johnson humanise ses personnages comme jamais, de la prestation sublime de Carrie Fisher au développement brillant de Kylo Ren (Adam Driver est une fois encore excellent) en passant par la trajectoire enfin consistante de Poe Dameron… Les Derniers Jedi séduit par ses personnages.
Surtout, cet épisode constitue une véritable proposition de cinéma qui tente, ose (l’hommage à Spaceballs est juste dingue !), n’hésite pas à bousculer dans des partis-pris audacieux pour d’une part, faire réagir, d’autre part amorcer des pistes à explorer pour la suite. Le discours de Luke Skywalker sur la transmission et le respect de la légende, son souhait de laisser derrière lui tout l’héritage lié aux Jedi pour privilégier l’avenir, faire table rase du passé pour se projeter vers l’avenir (un point de vue partagé à sa manière par Kylo Ren), est une projection presque trop évidente de la note d’intention de Rian Johnson, qui nous livre aujourd’hui le plus dense, réflexif, épique et le plus époustouflant Star Wars depuis un bail. Un tour de Force.

STAR WARS : LES DERNIERS JEDI
Rian Johnson (USA – 2017)

Genre/Science fiction – Interprétation/Daisy Ridley, John Boyega, Mark Hamill, Carrie Fisher, Adam Driver, Oscar Isaac… – Musique/John Williams – Durée/152 minutes. Distribué par Walt Disney Pictures (13 décembre 2017).
L’histoire : La Résistance est plus fragilisée que jamais face à la puissance du Nouvel Ordre mené par le Suprême Leader Snoke. Rey, qui a retrouvé Luke Skywalker, doit l’inciter à venir en aide aux troupes de la Rébellion…
Il divise, il fait tellement parler de lui sur la toile que ça en devient un peu énervant. Rian Johnson a pondu un épisode qui a pour but de tout relancer, même si tout n’est pas parfait. En tout cas, il ose ! Et ça fait du bien !
J’aimeAimé par 1 personne
Complètement d’accord. C’est exactement ça !
J’aimeJ’aime