[A propos de] PIFFF 2022 : Lucile Hadzihalilovic pour EARWIG
"Si mes rêves reviennent dans mes films, c'est plutôt inconsciemment"

La réalisatrice Lucile Hadzihalilovic était présente au Max Linder Panorama lors du 11e Paris International Fantastic Film Festival en décembre 2022 afin de présenter en avant-première Earwig, son troisième long-métrage après Innocence (2005) et Evolution (2015). La cinéaste a pris un moment pour échanger avec les spectateurs à l’issue de la projection. L’occasion d’en apprendre un peu plus sur ses méthodes de travail et ses inspirations cinématographiques ou plus globalement artistiques. Extraits.
Les similitudes entre ses trois films
« Je ne planifie pas les choses à l’avance, mais je me rends compte qu’il y a des similitudes entre mes trois films, c’est vrai. Peut-être encore davantage entre les deux premiers. Pour celui-ci, c’est un livre de l’écrivain anglais Brian Catling qui m’est arrivé, comme un cadeau. Ce qui était fascinant pour moi dans ce livre, c’est qu’il y avait en effet des motifs que je reconnaissais, très familiers, de la petite fille, de l’environnement, des rituels… Mais pour une fois, il y avait des choses moins familières, à commencer par le personnage principal qui est un homme, un adulte, de la violence explicite, que je n’avais pas l’habitude de montrer. »
Le travail de l’image et des cadres
« J’ai travaillé avec un chef opérateur très talentueux, Jonathan Ricquebourg. J’ai vu avec lui des principes de découpage en amont, le choix des plans fixes, les travellings d’accompagnement à la fin. Jonathan est quelqu’un qui aime beaucoup travailler en amont. On n’est pas sur du storyboard. On échange beaucoup, puis sur le plateau, on peut changer, ça peut varier par rapport à ce qui était prévu, et heureusement, ça donne un peu de vie ».

L’influence des rêves et des cauchemars sur ses films
« Pour ce cas précis, c’est plutôt le cauchemar de l’écrivain Brian Catling, il dit que ce livre lui avait été inspiré par un rêve dans lequel une petite fille lui offrait ses dents et le lendemain, il s’est mis à écrire. Je n’écris pas mes rêves ou mes cauchemars, ils me reviennent assez facilement. S’ils reviennent dans mes films, c’est plutôt inconsciemment ».
Le thème de l’enfermement dans le film
« C’est un film qui a été conçu avant le Covid. Le huis-clos est un thème qui revient dans mes films, c’est vrai, c’est à la fois un enfermement, mais aussi un refuge, un cocon. L’appartement, au début, est un lieu où les personnages se sentent bien, il y a une harmonie entre eux, le jour on apprend à Albert que ça va bientôt être fini, les choses se dérèglent et le chaos s’installe et c’est le début de la fin. C’est ambivalent, comme beaucoup de choses dans le film ».
Concrétiser les dents de glace de la petite fille
« Une des raisons pour lesquelles j’ai décidé de faire le film, c’était cette histoire de dents glacées. Pendant la préparation, on s’est demandé comment on allait représenter cela concrètement. On a pensé que cela devait ressembler à des glaçons, comme ceux que l’on peut mettre au freezer. Sauf qu’on s’est rendu compte que cela ressemblait à des dents normales, si ce n’est qu’elles fondent. Il fallait quelque chose d’un peu plus magique, sinon, il n’y avait pas de film. Après, je me suis dit que ce que cela veut dire, c’est que cet homme essaye de compléter cette petite fille, et il doit recommencer ces dents en glace qui fondent, sans cesse, c’est son fardeau, sa raison d’être. Ce qui était un vrai challenge, c’était de fabriquer l’appareil qui récoltait la salive. Dans le livre, il est décrit de manière un peu abstraite, je savais que ça serait une difficulté. J’ai donc demandé à Marc Caro (NDLR. Directeur artistique et coréalisateur avec Jean-Pierre Jeunet de Delicatessen et La Cité des enfants perdus), si il y a quelqu’un capable de dessiner un objet comme cela, c’est bien Marc. Et il a accepté de le concevoir. Il a eu l’idée des deux fioles de chaque côté. On a trouvé des artistes belges qui fabriquent des objets métalliques articulés, ils ont conçu cet appareil, adapté au visage de la petite. Je ne voulais pas que cela soit perçu comme un objet de torture, mais plutôt comme quelque chose de très délicat et beau ».

L’influence du vampirisme dans le film
« J’adore les histoires de vampires donc ça revient, c’est inconscient. Il y a un côté gothique très prononcé ».
L’importance et l’impact du son et de la musique
« La musique a été composée par Warren Ellis et Augustin Viard. J’avais demandé à Warren s’il voulait faire la musique, et je pensais plus à des textures sonores. Il avait fait un morceau avec Augustin, notamment avec un instrument qui s’appelle les Ondes Martenot, qui donnent ces sons, cette texture un peu intemporelle. On s’est rendu compte pendant le montage que ce morceau marchait particulièrement bien, et surtout la répétition comme quelque chose d’obsessionnel, une ritournelle. Merci à Augustin pour ce beau cadeau fait au film. Pour le son, ça vient de la nature du film, des choses que j’avais fais avant. Ici, il y a peu de musique, peu de paroles. Le son a beaucoup d’importance dans le film, même si on a essayé de garder un côté silencieux, notamment pour la première demi-heure. Les personnages sont dans l’appartement comme dans une bulle, il y a la place pour les bruits du corps, en s’inspirant aussi du travail réalisé par Nicolas Baker, pour les prises de son particulières, les bruitages. Il a travaillé des textures sonores avec un instrument qui s’appelle le Cristal Baschet, pour faire, non pas de la musique au sens mélodique, mais des textures sonores, nous avons tapissé le film avec ».
Les tableaux de peinture utilisés dans le film
« J’ai demandé au graphiste qui a fait l’affiche du film s’il pouvait faire l’image qui servirait de support à la peinture. On s’est inspiré d’un peintre anglais, qui fait des paysages souvent très automnaux, mélancoliques. C’est une jeune peintre qui a réalisé la version finale. Elle a transposé l’image en peinture. Je suis très contente du résultat ».
Les références et influences cinématographiques
« On a pensé à deux films, Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles de Chantal Akerman pour le côté rituels quotidiens, les plans fixes, la répétition et la variation dans la répétition. Et un film japonais des années 60, Quand l’embryon part braconner de Kōji Wakamatsu, pas pour l’histoire, mais parce que ça se passe dans un appartement vide, avec deux personnages : un homme qui séquestre une femme. On s’en est inspiré pour le découpage, le cadrage en scope« .


La difficulté de monter ses films
« Je suis très lente, sans doute, mais j’ai parfois des difficultés pour monter mes films, surtout entre le premier (Innocence en 2005) et le deuxième (Evolution en 2015), ce n’était pas du tout volontaire. Earwig est arrivé relativement longtemps après aussi. C’est un film produit par de l’argent anglais et belge, parce que j’ai l’impression que les Anglais comprendraient mieux ce film imaginaire, un peu décalé par rapport au genre. On a aussi eu un producteur français assez courageux pour se lancer dans un tel projet ».
La direction d’acteurs
« Avec les acteurs, je ne parle pas forcément beaucoup des personnages, je n’ai pas forcément envie de les enfermer dans mon interprétation non plus. En revanche, je les choisis parce que j’ai envie de les filmer comme personnes, plutôt que de les voir interpréter quelque chose. La principale chose que je leur demande, c’est d’en faire le moins possible. C’est un mélange de rigidité et d’improvisation, c’est aussi pour ça que j’aime tourner avec des enfants, parce qu’ils apportent des surprises. C’est ma façon de m’approcher des acteurs, car je ne sais pas les diriger en fait ».
Votre commentaire