En quelques films, le Canadien Denis Villeneuve a gagné ses galons de cinéaste à suivre, avant de se faire rapidement une place à Hollywood et finalement de compter aujourd’hui parmi les réalisateurs les plus intéressants et influents du moment. Polytechnique, Incendies, Prisoners, Enemy et aujourd’hui Sicario, dessinent les contours d’une filmographie déjà passionnante et l’illustration d’une maîtrise rare de la mise en scène. En attendant la suite de Blade Runner, aussi redoutée qu’attendue… Avec Sicario, Villeneuve poursuit son bonhomme de chemin cinématographique, sans jamais se répéter dans le propos ni dans le genre. Il s’attache cette fois à suivre un groupe d’enquêteurs spécialisés dans le trafic de drogue à grande échelle, traquant sans relâche les têtes pensantes des cartels d’Amérique Centrale et du Sud. Sicario est âpre, tendu et brutal. Brut de décoffrage dans son approche d’un sujet qui peut pourtant vite sombrer dans le cliché, et pourtant pensé dans ses moindres détails pour offrir au spectateur une expérience de cinéma dont ce dernier risque de se souvenir très longtemps. Dès l’ouverture, le film dresse sa note d’intention, ne s’embarrassant pas de considérations et d’explications superflues, il va droit au but. Une scène d’introduction qui fait l’effet d’un uppercut, voyant l’intervention d’une troupe d’élite pour sauver des otages dans le repère d’un narco-trafiquant au sein d’un village reculé des Etats-Unis. L’opération tourne au fiasco, et ce que découvrent les enquêteurs sur les lieux place très haut le curseur de la barbarie. Avec cette entrée en matière, le film parvient à prendre aux tripes avec un degré d’excellence et de tension qui rappellent l’ambiance et les effets d’un certain Se7en de David Fincher…

Moments de bravoure suffocants

Pas évident de tenir la barre avec une telle introduction. Pourtant, Sicario relève la gageure. Villeneuve livre une poignée de séquences mémorables et d’un tel niveau de mise en scène favorisant l’immersion, que l’on ne peut qu’applaudir une nouvelle fois le réalisateur de cette merveilleuse proposition de cinéma. Car le Canadien, au sein même d’un système hollywoodien qu’il nourrit dorénavant, prouve à chaque nouveau film toute l’implication qui est la sienne dans le sujet qu’il dépeint et l’univers qu’il explore, usant de tous les outils cinématographiques à sa disposition pour offrir un cinéma furieusement intelligent et efficace, sans jamais s’excuser de s’engager sur les plate-bandes du film de genre. Digression, digression… Néanmoins, Sicario se permet de donner à voir des moments de bravoure suffocants : des séquences de fusillades aussi brèves que violentes et définitives, dans un lieu aussi fréquenté qu’un péage d’autoroute à forte affluence… L’arrivée d’un convoi armé jusqu’aux dents au cœur même de la fourmilière de Juarez afin d’en extraire un parrain, avec ses cadavres décapités et démembrés pendus aux quatre coins de l’écran… Une scène d’assaut nocturne dans un dédale de galeries filmée en caméra infrarouge en fin de métrage… Tout Sicario transpire la chaleur, suinte de tous ses pores, pour donner corps à cette plongée dans un cauchemar total, aux frontières de la légalité et de la moralité.

Noir c’est noir…

Pour donner vie à ces scènes infernales, Villeneuve a réuni un casting brillant et évident. Josh Brolin intrigue dans un rôle ou il alterne décontraction et violence subite, Benicio Del Toro fascine avec ce personnage de combattant mystérieux et taiseux aux méthodes brutales et sans concession. Mais c’est le rôle d’Emily Blunt qui cristallise l’attention. Présentée comme une femme d’action, elle se retrouve balancée au beau milieu de l’enfer, subissant continuellement l’action sans parvenir à comprendre (dans un premier temps) les tenants et aboutissants ni son implication. Elle constitue un point d’ancrage évident pour le spectateur. Son personnage n’est pas sans faire penser à celui de Jessica Chastain dans Zero Dark Thirty de Kathryn Bigelow, œuvre qui partage quelques points communs avec le film de Villeneuve. Notamment ce pessimisme ambiant qui laisserait penser que les actions sensées mettre fin aux agissements des parrains de la drogue ne peuvent se faire sans dommages collatéraux et sans emprunter des voies moralement douteuses. Un constat terrifiant et foncièrement noir que Denis Villeneuve éclaire de tout son génie au sein d’un film choc et essentiel.

Note : 4.5 sur 5.

SICARIO. De Denis Villeneuve (USA – 2015).
Genre : Thriller. Scénario : Taylor Sheridan. Interprétation : Emily Blunt, Benicio Del Toro, Josh Brolin, Daniel Kaluuya… Musique : Jóhann Jóhannsson. Durée : 122 minutes. Sortie le 7 octobre 2015.

8 réponses à « [Critique] SICARIO de Denis Villeneuve »

  1. […] me décerne ce flop pour avoir manqué Sicario de Denis Villeneuve alors que j’ai rattrapé Enemy en vidéo où j’ai pris un malin plaisir à voir une […]

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  2. […] son polar suffocant Sicario et alors que tous les regards sont déjà tournés vers la suite de Blade Runner qu’il […]

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  3. […] ! », que ce soit avec le thriller Prisoners, le fantastique Enemy ou le polar Sicario, M. Denis Villeneuve s’attaque cette fois-ci à la science-fiction. Je t’aime mec ! […]

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  4. […] la force tranquille du cinéma nord-américain. Sans être un fan inconditionnel des Prisoners et Sicario par exemple et sans parler de talent, ce qui serait anecdotique à ce stade de la carrière du […]

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  5. […] sont des caricatures et l’ensemble des scènes proposées sont du domaine de la redite (Heat, Sicario, Usual Suspects…). Rien de bien nouveau sous le soleil […]

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  6. […] la baffe Sicario, réalisé par Denis Villeneuve en 2015, l’arrivée d’une séquelle trois ans plus tard […]

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  7. […] loué soit Denis Villeneuve (cinéaste passionnant par le passé avec des films comme Prisoners, Sicario ou Premier Contact) de s’être accroché à une certaine forme d’ambition […]

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